par Maïwen Le Moigne
Entre marques de fast fashion et marques de luxe, le travail forcé du peuple Ouïghour semble bénéficier à un très grand nombre des plus puissantes enseignes textiles. Un scandale passé sous silence, révélé aux yeux du monde et aussitôt retombé dans l’oubli. De nombreuses initiatives ont vues le jour à la suite des premières révélations mais la situation est-elle vraiment différente aujourd’hui ?
Un problème endémique
Qui n’a jamais acheté le dernier blazer Zara ou le dernier jean H&M dont TikTok vend les mérites ? Nous consommons presque tous différentes marques de fast fashion, parfois sans même savoir ce que veut dire ce terme et encore plus souvent sans en connaitre les implications, autant environnementales que sociétales. Pourtant, c’est un véritable scandale humanitaire qui dure maintenant depuis plusieurs années dans la région du Xinjiang où plus d’un million de Ouïghours sont enfermés dans des camps et forcés à travailler, notamment pour des marques comme celles citées ci-dessus. Sans même le savoir, la robe que nous sommes ravis de nous acheter pour notre soirée du nouvel an peut participer à l’exploitation d’un peuple entier de l’autre côté de la planète. Alors comment peut-on sortir de ce cercle tout sauf vertueux et utiliser sa consommation comme un moyen de contestation ?
L’histoire d’un peuple
Les Ouïghours sont un peuple turcophone à majorité musulmane représentant plus de 12 millions de personnes, notamment dans la région du Xinjiang. Après plusieurs assujettissements à différents peuples tout au long de leur histoire, c’est en 1950 que le territoire Ouïghour passe sous domination communiste chinoise. Plusieurs soulèvements furent organisés par les Ouïghour et depuis 2001, la répression chinoise prend de l’ampleur. L’attaque terroriste du 11 septembre aux Etats-Unis sert la politique anti-terrorisme chinoise qui durcit alors son contrôle, donnant ainsi naissance à plusieurs organisations clandestines ouïghoures. S’enchainent alors plusieurs attentats et scènes d’affrontements qui fragiliseront fortement les relations entre les deux peuples belligérants. D’après le Uyghur Human Right Project, c’est en 2014 que les premiers camps d’internements sont utilisés pour la répression des peuples Ouïghours. En 2018, c’est plus d’1 million de personnes qui sont enfermées dans ces camps que le gouvernement chinois décrit comme des « écoles » ayant pour but la « transformation par l’éducation ». Le magazine Bitter Winter dévoile cependant des vidéos filmées à l’intérieur de ces camps, montrant l’horreur de ces prisons. Le gouvernement chinois se justifie en disant vouloir prévenir la radicalisation et le terrorisme mais procède en réalité à un génocide de tout un peuple et de sa culture.
Où en est-on ?
Près de quatre ans après les premières révélations sur le travail forcé du peuple Ouïghour, de nouvelles accusations surgissent et redirigent les projecteurs sur l’un des plus grands scandales de notre génération. Plus de 30 marques, comptant parmi les plus influentes et mondialement reconnues, ont été citées dans un nouveau rapport de l’Université de Sheffield Hallam paru en décembre dernier. Nous le savions déjà mais l’ampleur de l’utilisation de matières premières provenant de cette région du monde est dénoncée par ce rapport. C’est en effet 1 vêtement en coton sur 5 qui utilise du fil provenant du travail forcé des Ouïghours. Un problème qui gangrène la scène mode mondiale et qui parait insurmontable quand même les marques concernées ne semblent pas au courant de leur implication.
Un rapport éclairant
Bien que l’Assemblée nationale Française ait décidé de dénoncer officiellement en 2022 le génocide en cours contre le peuple Ouïghour, peu de choses ont réellement changées. Ce que le rapport de l’Université de Sheffield Hallam met en lumière, c’est tout d’abord le manque d’application de règlementations concernant l’importation de biens issus du travail forcé en Europe. Bien qu’interdites, ces importations continues et de nombreuses grandes marques en bénéficient toujours. Entre les entreprises se cachant derrière des chaînes d’approvisionnement si longues qu’elles ne s’associent pas officiellement à leurs fournisseurs et celles qui ne sont réellement pas au courant des travers de ces derniers, difficile de faire la différence.
Selon Sophie Richardson, spécialiste de la Chine chez Human Rights Watch, la complexité des chaînes d’approvisionnement rend quasiment impossible le contrôle de l’ensemble des pratiques des fournisseurs. L’importance réside alors dans l’implication des Etats Européens à rendre les multinationales responsables des pratiques de tous leurs fournisseurs. La bataille entre les Lobbys et les Etats fait rage mais le combat se joue aussi chez les consommateurs. Ces derniers ne sont bien évidemment pas les seuls responsables ou les seuls acteurs de ce problème mais ont un rôle à jouer grâce à leurs choix de consommation. Encore faut-il être au courant de ces scandales, entre alors en jeu la responsabilité des médias. C’est donc uniquement un effort commun qui peut mettre fin à ces agissements.
Les puissances acculées
Parmi la trentaine de marques citées dans le rapport de nombreuses enseignes de fast fashion ressortent telles que Zara, Mango, Primark, Pull & Bear ou encore H&M. Des équipementiers sportifs sont aussi mentionnés comme Nike, Puma ou même la fierté française Decathlon. Mais ce qui dénote dans ce rapport, c’est la présence assez inattendue de plusieurs marques de luxe. On y retrouve notamment Burberry, Prada, Ralph Lauren, Calvin Klein, Hugo Boss et Guess. Des marques se targuant de valoriser l’artisanat et le savoir-faire et justifiant bien souvent leurs prix par la qualité de leurs textiles, alors fournit par les mêmes usines que celles fournissant Primark. Le tout dans les conditions les plus déplorables qui soient.
Le vrai prix du textile
Lorsque l’on paye son jean un prix dérisoire, le coût est bien trop souvent répercuté ailleurs et notamment sur les conditions de fabrication. Plusieurs sources ont révélé les conditions de travail des Ouïghours dans les camps de travail forcé instauré par le gouvernement chinois. On y parle de torture, de viols, de campagnes de stérilisations forcées, de surveillance perpétuelle ou encore d’avortements forcés. Cette politique plus que répressive est la cause même du génocide humain et culturel qui est en cours. Quand on sait que 23% du coton mondial provient de ce travail forcé, ce sont tous les acteurs des chaînes de fabrication, de commercialisation et de consommation qui sont responsables de ces violations des droits humains les plus basiques. Une situation qui n’est cependant pas irréversible.
Quelles solutions ?
Le nombre d’articles encore introduits sur le sol européen est criant de vérité sur l’état de la situation actuelle. Le manque de régulation et de contrôle ne permet pas au consommateur de prendre ses décisions en toute connaissance de cause. C’est pour cela que des alternatives sont mises en place telles que les certifications comme Origine France Garantie ou encore le Made In France. De telles initiatives aident tout un chacun à pratiquer une consommation plus responsable et en accord avec ses principes. Pour des marques comme Lemahieu (certifiée Origine France Garantie), les tendances de modes éphémères sont rejetées et la production de vêtements plus durables permet une réduction de l’impact du secteur textile. Ce sont ainsi de nombreuses alternatives françaises qui permettent de garantir la provenance et les conditions de fabrications de leurs produits. Proposant parfois une qualité supérieure à celle de grandes marques de luxe dont les pratiques peuvent laisser à désirer.