Une étude inédite de la FEVAD et L’ObSoCo explore les bouleversements à venir du commerce et interroge notre rapport à la consommation
Dans un contexte de mutations accélérées, la FEVAD (Fédération du e-commerce et de la vente à distance) et l’ObSoCo (Observatoire Société et Consommation) ont mené une enquête approfondie auprès d’une trentaine d’acteurs clés du secteur du commerce. Objectif : cerner les grandes tendances à horizon 2035 à travers leurs imaginaires stratégiques. Ni manifeste, ni prédiction, cette étude agit comme un miroir réflexif, révélateur des tensions et des espoirs qui traversent un secteur en pleine ébullition.
Une décennie de ruptures
Le constat est unanime parmi les professionnels interrogés : les dix années à venir connaîtront des bouleversements plus profonds encore que ceux des vingt-cinq dernières. Une dynamique d’accélération sans précédent est en marche, sans certitude sur la direction qu’elle empruntera. Un climat d’incertitude domine donc, nourri par la vitesse des innovations, les changements d’usage et l’émergence de nouveaux acteurs.
L’intelligence artificielle comme pivot de la transformation
Au cœur de cette révolution annoncée, l’intelligence artificielle – et tout particulièrement l’IA générative – cristallise les attentions. Ses promesses sont vertigineuses : automatisation des flux logistiques, optimisation du marketing, assistance à l’achat, personnalisation de la relation client… jusqu’à une possible disqualification des moteurs de recherche classiques au profit d’assistants IA capables d’interagir directement avec les besoins des consommateurs.
Une redéfinition en profondeur de l’intermédiation commerciale est en marche : demain, nous ne passerons peut-être plus par Google ou Amazon, mais par notre assistant IA personnel pour faire nos achats.
Un e-commerce surpuissant… mais polarisé
La montée en puissance du commerce en ligne se poursuivra, mais dans un écosystème de plus en plus polarisé. Les grandes plateformes continueront de capter l’essentiel de la croissance, laissant aux marques une alternative stratégique délicate : investir dans la désintermédiation pour vendre en direct, ou se plier aux règles des géants pour exister. Le social commerce, impulsé par des plateformes comme TikTok Shop, s’impose également comme un canal à fort potentiel, notamment auprès des jeunes générations.
Le commerce physique en quête de raison d’être
Face à cette pression numérique, le commerce physique ne pourra faire l’économie d’une refonte profonde. L’heure est à la contraction des points de vente et à l’essor des friches commerciales, tout particulièrement dans le non-alimentaire. Pour subsister, les lieux devront se réinventer en espaces d’expérience, de conseil et de service. Concept stores, lieux hybrides, économie circulaire, réparation : autant de pistes évoquées par les professionnels pour redonner sens et valeur à la présence physique.
Mais même sur ce terrain du conseil humain, traditionnellement refuge du commerce physique, l’intelligence artificielle pourrait s’avérer concurrente…
Une transition écologique encore timide
Fait marquant : l’écologie est peu évoquée de manière spontanée par les professionnels interrogés. Si la contrainte environnementale est bien présente, elle est davantage portée par la régulation que par une pression des consommateurs. Pourtant, les enjeux logistiques – emballages, transport, organisation des flux – appellent une réconciliation urgente entre vitesse, rentabilité et durabilité. La logistique urbaine, en particulier, devra être repensée pour conjuguer proximité, sobriété, et efficacité.
Trois scénarios pour demain
L’étude soumet trois scénarios aux acteurs du secteur : la domination des assistants IA, la renaissance d’un commerce local, et l’avènement d’un modèle serviciel fondé sur l’usage. Si aucun ne s’impose clairement, le troisième scénario — celui du commerce serviciel — recueille le plus de soutien. Il dessine un avenir dans lequel la valeur ne réside plus dans le produit, mais dans l’accompagnement, la maintenance, ou la location. En somme, un commerce du lien plutôt que de la possession.
Vers une culture de l’agilité permanente
Face à ces transformations systémiques, une conclusion s’impose : la capacité d’adaptation sera vitale. Tester, apprendre, pivoter. Le commerce de demain ne pourra se contenter d’ajuster ses marges, il devra réinventer ses modèles.
Une opportunité pour le Made in France ?
Cette étude de la FEVAD et de L’ObSoCo, bien qu’elle n’aborde que marginalement les enjeux industriels ou de relocalisation, soulève indirectement une question majeure pour l’économie française : qui maîtrisera la chaîne de valeur dans ce commerce de 2035 ? Face à des marketplaces surpuissantes et des flux logistiques mondialisés, les marques qui fabriquent en France devront jouer sur d’autres leviers : transparence, traçabilité, proximité, réparabilité… autant de dimensions qui répondent aux attentes sociétales et peuvent légitimer un positionnement différenciant.
À condition, toutefois, que les politiques publiques accompagnent cette transition par la régulation des plateformes, un soutien à la transformation écologique des commerces physiques, et la formation aux nouveaux outils technologiques.
Dans ce monde qui s’emballe, où l’algorithme dicte les goûts et la livraison en deux heures devient la norme, nous croyons qu’une autre voie est possible. Une voie plus humaine, plus locale, plus responsable. Loin d’être dépassé, le Made in France est peut-être ce repère dont le commerce a besoin pour ne pas perdre le nord.
