Fait en France — Quel regard portez-vous sur la crise des Agriculteurs que nous traversons ?
Arnaud Montebourg — Franchement, j’ai été rassuré par le fait que les Français aient soutenu ce mouvement populaire venu des campagnes.
Nous importons 65% de nos fruits et nos légumes. Même le Commissariat au Plan a rendu une note qui s’appelle « La bataille du commerce extérieur ». Elle révèle que sur les 100 milliards de déficit de la balance commerciale, il est noté dans un exposé particulier sur ce qu’ils ont appelé le « ratatouille ». Ils prennent en exemple les cinq légumes qui composent la recette et nous démontre que leurs importations nous coutent un milliard et demi par an ! C’est le syndrome de la ratatouille dont nous sommes victimes.
C’est-à-dire que nous avons accepté que l’agriculture soit le seul métier où l’on tolère que les gens travaillent gratuitement. La conséquence c’est que soit nos agriculteurs font faillite ; soit tragiquement ils abandonnent la partie et se suppriment eux-mêmes … On a une vague de suicides dans l’agriculture. Et quand ils se mettent en colère, comme ça a été le cas, Ils n’obtiennent toujours pas satisfaction sur la question des revenus !
C’était déjà dans ce sens que vous aviez lancé votre marque de miel Bleu Blanc Ruche… Bleu Blanc ruche, la marque que j’ai fondée est une marque équitable et qui paye mieux les apiculteurs. Elle finance et soutient la lutte pour la protection des intérêts des apiculteurs. Qui plus est les produits Bleu Blanc Ruche sont certifiés Origine France Garantie. A ce sujet, il y a 4 ans avec Bleu Blanc Ruche et la filière du miel, nous sommes allés voir le Ministre du Commerce Extérieur. J’ai demandé « Comment se fait-il que nous n’avons pas le droit d’exporter nos miels en Chine mais que vous laissez rentrer tous les miels étrangers en France ? Alors même que les Chinois utilisent des normes de protection sanitaire pour nous empêcher et vous, vous ne le faites pas ! » Et nous n’avons pas besoin de l’Europe pour appliquer ces règles. Depuis ce Ministre n’est plus en place et le poste a été remplacé quatre fois puisque nous sommes face à une instabilité ministérielle permanente ou plutôt nous sommes en remaniement permanent depuis des années. Et depuis, nous n’avons jamais eu de réponse à cette demande.
Gilles Attaf, président de la certification Origine France Garantie, déclarait que ce que le monde agricole traverse aujourd’hui, c’est ce que subit l’industrie depuis 40 ans. Sommes-nous en train de raser les filières professionnelles des métiers de la main ?
Je tiens à rappeler que travailler avec la main c’est travailler avec le cerveau ! Ne l’oublions pas. Nous sommes face à une désindustrialisation et une « désagriculturation ». On parle souvent des friches industrielles mais sait-on que 20% de la surface agricole utile aujourd’hui ne sont pas exploitées ? Il faut reconstruire. Il y en a pour 10 ans. Il faut tous s’y mettre. C’est selon moi une mobilisation nationale qui doit s’enclencher !
Les entreprises du made in France pointent du doigt le montant des charges salariales. Faisant mathématiquement grimper les prix de leurs produits et les empêchant de recruter. Baisser ces charges ne serait-ce pas là le moyen de réduire le taux de chômage et de permettre à ces entreprises d’être plus compétitives ?
Le meilleur calcul, c’est que nous ne travaillons pas assez.
Nous ne sommes pas assez nombreux au travail. Parce que la totalité de la population active en âge de travailler est de 68% en France alors qu’en Allemagne, ils sont à 76%.
Si nous étions un million de plus à cotiser alors nous pourrions baisser les charges sociales sur tout le monde. Les cotisations sur tout le monde. Puisqu’on serait beaucoup plus nombreux à cotiser. Donc il faut faire ce calcul et se dire qu’il faut travailler plus pour être plus nombreux à cotiser, pour pouvoir cotiser moins et faire baisser le coût de la protection sociale. Cette protection sociale est élevée car nous ne pouvons pas la financer, elle l’est à crédit aujourd’hui…
Dans le nouveau gouvernement, plus aucun poste ministériel n’est attribué à la formation professionnelle.(NDLR : précédemment occupé par Carole Grandjean). Malgré les défis persistants dans la formation de la main-d’œuvre, et alors que de nombreuses entreprises du made in France éprouvent des difficultés de recrutement en raison du manque de travailleurs qualifiés, pensez-vous que les filières professionnelles ont été par le gouvernement ?
Je ne sais pas s’il servait à grand-chose… Car rien n’a été fait ! Qu’il n’y ait pas de ministre montre bien qu’il n’y a pas de préoccupation… Néanmoins, il y a eu une réforme de la formation professionnelle il y a quelques années. Elle n’a absolument rien changé à la bureaucratie de tout le système professionnel. Nous avons l’impression que l’État met 30 milliards dans quelque chose qui ne fonctionne pas. Mettre cette somme en cotisations des entreprises sur la formation professionnelle et se retrouver avec un demi-million de postes non pourvus prouve qu’il y a un grave problème. Donc il faut se remettre d’urgence au travail.
In fine, la solution ne serait donc pas politique ?
Si ! Elle est politique !
Il faut une réforme qui débureaucratise la formation professionnelle. Je crois que le moment est venu de mettre des écoles dans les entreprises et de les financer directement dans les entreprises. Avec des personnes qui se formeraient dans les entreprises, seraient rémunérés et auraient une garantie d’emploi à l’issue de leur formation.